Ce jeudi 6 octobre, c’est la journée nationale des aidants. Ils n’en ont pas les diplômes, pourtant ils sont tout à la fois infirmier, psychologue, taxi, assistante sociale, aide à domicile, sept jours sur sept, nuit et jour… pour accompagner un parent victime d’un AVC, un conjoint malade d’Alzheimer ou un enfant en situation de handicap. Les aidants ont mis leur vie entre parenthèses pour s’occuper d’un proche, souvent dans un isolement délétère, parfois même au péril de leur vie. Aider les aidants est essentiel pour leur permettre de poursuivre leur mission sans perdre pied.
Depuis trois ans, il a mis sa vie entre parenthèses : plus de week-end, des nuits sans sommeil, plus de sortie improvisée, un resto parfois quand il a mis sa maman au lit à 20 h, jamais détendu, l’œil rivé sur le téléphone avec lequel il surveille la maison où il a disposé des caméras thermiques… Didier Garcia énumère avec un sourire vaillant qui dissimule mal l’épuisement, les contraintes de sa nouvelle vie depuis que Marcella, sa maman de 83 ans atteinte d’Alzheimer, habite chez lui, à Calvisson. « C’est dur mais je ne me sacrifie pas, enfin pas vraiment. De toute façon, je n’aurais pas pu faire autrement ». Il y a une quinzaine d’années, il avait déjà accompagné son papa décédé de la maladie de Charcot
« Je suis sur le front nuit et jour »
« J’ai été pompier volontaire pendant 8 ans, je crois qu’aider, c’est mon chemin de vie ». Les trois heures d’auxiliaire de vie par jour ne font pas tout, « je suis sur le front nuit et jour, je la fais manger, je lui fais sa couleur car elle reste coquette, je la change si elle fait pipi, je la couche, je suis en surrégime émotionnel 24 h sur 24 ». Didier Garcia évoque son immense solitude malgré l’étayage (kiné, infirmière, médecin, visite d’une équipe spécialisée dans le suivi Alzheimer au domicile), découvre un monde parallèle, « il y a trois ans, le CCAS c’était un club de foot pour moi ! », ironise-t-il.
« Je suis devenu le parent »
Des moments de joie partagée avec Marcella, il n’y en a plus vraiment, « je suis devenu le parent et elle l’enfant ». La maladie avance « sournoise », mais il ne se résout toujours pas à un placement en Ehpad, « j’aurais l’impression d’abandonner maman, un peu peur de la maltraitance aussi, ou disons de la négligence ». Il pense à un séjour de répit, une première étape, pour souffler un peu, « là, plus je m’investis et moins ça suffit. Ce n’est plus une vie pour moi, j’emmagasine trop de stress, le corps envoie la facture… »
Une association pour aider les autres
Une auxiliaire de vie l’a orienté vers une formation d’aidant avec le Codes 30 qui lui a fait comprendre que « l’enjeu, c’est d’accepter de l’aide et de partager avec d’autres » et lui a surtout donné l’envie de créer Marcella, son association pour aider les aidants, « à partir de mon expérience. Je veux proposer une écoute bienveillante, apporter des solutions, faciliter et coordonner les parcours ». La mairie suit, enthousiaste d’accompagner cet espace ressource proche aidant. À peine née, l’association tourne déjà, « j’ai reçu deux familles en pleurs, perdues, à bout de forces. Les gens isolés se replient, n’osent pas demander d’aide par peur ou par fierté », constate Didier Garcia. Cette association qui porte le nom de sa maman, c’est aussi sa résilience. « Je me dis que je n’ai pas vécu tout ça pour rien. Et si ce projet me prend beaucoup d’énergie, moi qui n’en ai plus trop, sourit-il, ça m’en rend aussi énormément ».
« Écoutez-vous quand vous en faites trop »
« J’ai eu une belle vie d’homme, un travail qui m’a mené aux quatre coins du monde, des fêtes…, m’occuper des autres – après maman – sera ma deuxième vie ». Et des idées, il en a déjà plein : de l’aide administrative et de l’écoute mais aussi de l’art-thérapie, de la musique. « Je vais me battre pour qu’existe un vrai statut d’aidant », lance-t-il. On lui demande déjà d’intervenir à Langlade, pourquoi pas dans toute la Vaunage, il y a de tels besoins. « Aux familles à bout de souffle, je leur dis, vous êtes merveilleux, écoutez-vous quand vous en faites trop… Tout ce que je ne sais pas faire pour moi. »
« Avec notre fille Élise, 31 ans aujourd’hui, déficiente intellectuelle, on s’est souvent senti seuls, mal accompagnés dans le parcours du combattant des parents d’un enfant handicapé », résument Jean-Marie et Christine à Redessan. L’impression de vivre une succession de renoncements et le sentiment d’un engagement de parents-aidants invisibles.
Avec des regrets : « on n’a quasiment jamais eu un week-end tous les deux », et une pointe de culpabilité, « les sœurs d’Élise ont poussé toutes seules et seront aidantes un jour, par la force des choses », glisse Christine.
« Quand on est aidant, il n’y a aucun répit, on repousse nos limites toujours plus loin, on est des sportifs de haut niveau de l’émotionnel ».
Aucun répit
Aidant motivé, Jean-Marie a créé un groupe de hand et de natation de sport adapté, «j’ai même fait de la danse contemporaine pour que ma fille soit bien acceptée dans le groupe ! »
Mais quand il allume le feu dans la cheminée avec Élise, il redevient le papa qui partage juste un bon moment avec sa fille. Une jeune femme désormais en quête d’autonomie, « mais sa vulnérabilité nous rend hypervigilant » et le couple s’inquiète déjà de l’avenir : « Et après nous ? » La charge mentale des aidants est constante. Les groupes de parole avec l’Adao, l’an dernier, le café des parents au foyer Hubert-Pascal leur ont fait du bien. « Ça nous aide à lever la tête, on est soutenu, encouragé ». Eux aimeraient un vrai statut de l’aidant, « une reconnaissance qui nous aiderait ».
Avec leurs filles, ils ont créé La Bougeotte d’abord, une association qui propose un séjour d’une semaine chaque été à une quinzaine de jeunes en situation de handicap. «Toute la famille participe, une belle aventure humaine et bénévole, et une semaine de répit pour les autres parents ». En attendant de profiter un peu de leur retraite quand Élise sera hébergée dans un foyer.